Depuis plusieurs années, les politiques publiques multiplient les incitations à mettre en discussion les règles du travail et de l’emploi au plus près des situations de travail et des contraintes économiques, techniques et sociales. L’élargissement continu du champ couvert par la négociation d’entreprise obligatoire (des lois Auroux en 1982 jusqu’à la loi relative à la sécurisation de l’emploi de juin 2013) et le recours accru aux incitations financières à conclure des accords d’entreprise (sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, l’épargne salariale, l’emploi des seniors, puis la pénibilité) soutiennent une dynamique générale de décentralisation de la négociation collective d’entreprise, dont plusieurs rapports publics récents souhaitent encore le renforcement, à l’image du rapport Combrexelle en septembre 2015. Sur les questions d’emploi, cette décentralisation accompagne un mouvement de flexibilisation et ouvre des possibilités de dérogation aux règles légales. Sur les questions de conditions de travail, à l’image de l’accord national interprofessionnel de juin 2013 sur la qualité de vie au travail, l’évolution prend davantage la forme d’une incitation à la démultiplication des espaces de discussion sur le travail.
Ces évolutions questionnent en même temps l’état des relations sociales en entreprise : sont-elles capables, et jusqu’où, de porter d’authentiques délibérations collectives susceptibles de nourrir des négociations ? À bien des égards, ces évolutions alimentent aujourd’hui une tendance à déborder la représentation institutionnelle des salariés.
Plusieurs cas récents suggèrent que les négociations collectives sur l’emploi peuvent être perturbées, voire court-circuitées, par le recours (ou la menace du recours) au référendum d’entreprise. Une conception de la démocratie industrielle en chassant une autre, les organisations syndicales se voient déstabilisées au moment même où elles sont de plus en plus sollicitées à discuter et négocier sur l’emploi dans les entreprises. Au-delà de la question des referendums d’entreprise, il convient d’interroger de près l’articulation entre la représentation institutionnelle et les dispositifs d’expression des salariés qui peuvent être mis en place dans le cadre de restructurations ou de changements organisationnels majeurs.
Parallèlement, les enjeux psychosociaux ont donné lieu à une concertation plus intense, voire à la conclusion d’accords collectifs sur la « prévention des risques psychosociaux » et/ou « l’amélioration de la qualité de vie au travail » en instaurant des espaces et des temps de discussion sur le travail, qui interpellent directement les équipes syndicales et les représentants du personnel. Ces dispositifs (comités de pilotage, « groupes multidisciplinaires » (ex : EDF), « opérateurs référents » (ex : Renault)…) se juxtaposent aux instances de dialogue social prévues par le droit. Dès lors, comment les équipes syndicales investissent-elles ces instances ? De quelles exigences sont-elles porteuses pour les représentants du personnel ? Ces nouveaux espaces de dialogue social supposent-ils de nouvelles pratiques et/ou postures syndicales ? Par ailleurs, quel effet l’engagement dans de telles instances ad hoc a-t-il sur le fonctionnement des instances légalement prévues pour aborder ces enjeux, comme les CHSCT et les délégués du personnel ? Comment les représentants du personnel assurent-ils l’articulation entre ces différents espaces de discussion sur le travail ?